L’indemnisation du préjudice en droit du travail ou l’habile pratique du boomerang
Auteur : Maître Xavier BLUNAT
Publié le :
24/10/2024
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2024
« Un dommage, une faute et entre les deux, un lien de causalité »
Cette formule est connue de tous les étudiants en droit et nous pourrions être tentés de penser que ce principe, somme toute frappé au coin du bon sens, trouve son pendant dans les relations entre employeurs et salariés.
Et l’on aurait tort…
Jusqu’au 13 avril 2016, et pour être – à peine – caricatural, toute erreur de l’employeur causait nécessairement au salarié un préjudice devant être indemnisé.
Autrement formulé, le principe du « préjudice nécessaire » dispensait le salarié de devoir prouver l’existence d’un dommage, lequel se déduisait automatiquement du manquement de l’employeur.
L’illustration la plus marquante concerne la procédure de licenciement pour laquelle le Code du Travail précise que la lettre de convocation à entretien préalable doit mentionner l’adresse des services – Mairie et Inspection du Travail – où le salarié peut se faire communiquer la liste des conseillers pouvant l’assister.
L’omission de l’adresse de la mairie – en l’occurrence celle du domicile du salarié (!) – constituait un préjudice devant être indemnisé par l’octroi d’un mois de salaire (Cass. Soc., 09.11.2010, n°09-41.578).
La Cour de Cassation a même estimé que le salarié avait nécessairement subi un préjudice en raison de cette fâcheuse omission, alors même qu’il s’était présenté à l’entretien préalable accompagné d’un conseiller du salarié (Cass. Soc., 21.01.2009, n°07-42.985) !
D’autres exemples illustrent ce principe du préjudice automatique comme l’omission de la convention collective applicable sur les bulletins de paie (Cass. Soc., 04.03.2015, n°13-26.312).
Mais le 13 avril 2016 a marqué un brusque retournement, laissant croire à l’abandon du principe de préjudice nécessaire.
La situation était la suivante : un salarié dont le contrat de travail avait été rompu avait saisi le Conseil de Prud’hommes de LISIEU pour obtenir de son ancien employeur qu’il lui remette les documents relatifs à la fin de son contrat de travail – solde de tout compte, certificat de travail et attestation Pôle Emploi.
Ces documents ayant été remis lors de l’audience de conciliation, donc de toute évidence plusieurs semaines après la rupture du contrat de travail, le salarié avait sollicité la condamnation de son employeur à des dommages et intérêts pour remise tardive.
Le Conseil de Prud’hommes de LISIEU avait résisté et débouté le salarié de sa demande par jugement du 3 décembre 2013, considérant que celui-ci ne justifiait d’aucun préjudice.
Le salarié avait saisi la Cour de Cassation, certain d’obtenir une décision favorable.
Et pour cause : dans un arrêt de septembre 2014, la Cour de Cassation sanctionnait encore la remise tardive de l’attestation Pôle Emploi, laquelle « entraîne nécessairement un préjudice qui doit être réparé » (Cass. Soc., 17.09.2014, n°13-18.850).
C’est donc à la grande surprise tant du salarié que de l’ensemble des commentateurs du droit du travail que la Cour de Cassation avait confirmé, dans un arrêt du 13 avril 2016, le jugement du Conseil de Prud’hommes de LISIEU, rappelant que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relevait du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (Cass. Soc., 13.04.2016, n°14-28.293).
Coup de tonnerre dans le monde de la prud’homie : cet arrêt par la généralité de sa motivation, laissait espérer – ou craindre – que le préjudice automatique était derrière nous et que nous allions revenir à l’orthodoxie juridique rassurante : un dommage, un manquement et un lien de causalité.
Ce d’autant plus que, par une série de décisions rendues sur le même fondement, la Cour de Cassation a paru détricoter consciencieusement l’édifice ubuesque bâti jusqu’alors.
Ainsi, le préjudice allégué devait être prouvé en cas d’irrégularité de la procédure de licenciement (Cass. Soc., 30.06.2016, n°15-16.066), en cas d’omission de la Convention Collective applicable sur un bulletin de paie (Cass. Soc., 17.05.2016, n°14-21.872), etc…
Les français aiment les exceptions aux principes et la Cour de Cassation n’y échappe pas puisqu’il n’aura fallu que quelques années pour voir revenir dans les arrêts de la Chambre Sociale le principe du préjudice nécessaire.
Accordons toutefois à la Haute Cour le bénéfice de ne le réserver, pour l’heure, qu’à des situations circonscrites, majoritairement à la durée du travail.
C’est sur ce sujet que deux arrêts ont été rendus par la Cour de Cassation le 4 septembre dernier qui retiennent la réparation d’un préjudice dont la preuve n’est pas nécessaire :
- le premier arrêt concerne la salariée enceinte, accouchée ou allaitante au travail pour laquelle l’employeur avait manqué à son obligation de suspendre toute prestation de travail pendant le congé maternité (Cass. Soc., 04.09.2024, n°22-16.129) ;
- le second arrêt vise deux situations distinctes et concerne la salariée que l’employeur a faite venir à trois reprises dans l’entreprise pour accomplir ponctuellement et sur une durée limitée une tâche professionnelle pendant son arrêt maladie d’une part et concerne la salariée qui s’est vue empêchée de prendre un temps de pause après 6 heures de travail quotidien d’autre part (Cass. Soc., 04.09.2024, n°23-15.944).
Ces arrêts ne sont, dans leur motivation, pas inédits puisque déjà, en janvier 2022, la Cour de Cassation avait admis l’indemnisation automatique d’un salarié ayant dépassé sur une semaine la durée maximale de travail (Cass. Soc., 26.01.2022, n°20-21.636).
Le préjudice automatique serait-il de retour ?
Il serait plus juste de parler de la recherche nouvel équilibre.
En effet, le 4 septembre 2024, en même temps qu’elle reconnaissait le bénéfice d’un préjudice automatique dans les deux arrêts évoqués supra, la Cour de Cassation, dans un troisième arrêt, déboutait le salarié revendiquant des dommages et intérêts pour n’avoir pas bénéficié d’une visite de reprise dès la décision de classement en invalidité de deuxième catégorie, retardant d’autant la constatation de son inaptitude, au motif qu’il ne justifiait d’aucun préjudice (Cass. Soc., 04.09.2024, n°22-23.648).
Le préjudice automatique va et vient.
Ou plus exactement, comme un boomerang, il fait des circonvolutions autour de l’employeur et du salarié.
Resta à savoir lequel des deux restera à dîner…
Article rédigé par Maître Xavier BLUNAT, avocat associé
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