ACCIDENT DU TRAVAIL ET TELETRAVAIL : PREMIERE DECISION DES JUGES DU FOND
Lorsque le salarié « s’extrait » de « l’enceinte », pour rester à son domicile, familier par essence, aux fins de télétravail, la notion même d’accident du travail semble s’éloigner de concert.
La nature « juridique » ayant horreur du vide, le droit a été amené à s’emparer de la situation du télétravailleur qui déclare un accident du travail.
1°/ Les faits
Le télétravailleur, au cas particulier, a déclaré effectivement avoir reçu « trois mails » de la part de son supérieur hiérarchique, lui demandant de réaliser quatre études de marché complexes ne relevant pas de son champ de compétence.
Extrêmement angoissé à réception de ces mails, celui-ci a immédiatement fait part de sa souffrance à ses collègues, aux représentants du personnel, puis le lendemain, à l’infirmière de santé au travail et enfin, le surlendemain, à son Médecin traitant.
La CPAM a refusé de prendre en charge ce choc émotif, en considérant :
- qu’aucun témoin n’avait pu constater la scène,
- que la lésion émotionnelle n’avait été constatée que deux jours après les faits.
C’est en l’état, que le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY[1] a été amené à trancher le débat, sur recours du salarié.
2°/ Le débat
· Cadre juridique [2]
« L’accident survenu sur le lieu où est exercé le travail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident du travail... »
En réalité, la situation du télétravailleur est identique à celui du travailleur : celui-ci doit prouver la matérialité de l’accident[3], soit la survenance d’une lésion :
- sur le lieu de travail,
- au temps du travail,
et ce, afin de bénéficier d’une présomption d’imputabilité.
· En l’espèce, le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY a relevé :
- la réception de mails litigieux, au temps du travail, au domicile du salarié ;
- la survenance d’un choc émotif constaté par l’application Teams, par le délégué syndical ;
- une déclaration faite à l’infirmière de santé au travail ;
- la consultation par le Médecin traitant.
Le Tribunal en conclut que le choc émotif déclaré est bien un accident du travail, et ce même si la lésion a été constatée 48 heures après les faits.
3°/ Préconisations
· Lieu : fixation entre les parties du lieu d’exercice principal du télétravail (domicile) et attestation sur l’honneur faite par le salarié de conformité du matériel.
· Temps : détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié ; distinction entre temps de travail et temps de repos et droit à la déconnection, pour les cadres au forfait [4].
· Lésion : le choc émotif doit pouvoir être objectivé ou être objectif, ce qui est le cas lorsque les faits ont une « coloration fautive » (en l’espèce, missions complexes confiées, hors missions habituelles et de manière répétée).
Ainsi et fort de ces préconisations, le télétravailleur qui déclarerait une lésion :
- survenu hors de domicile habituel,
- hors les plages convenues,
- sans évènement soudain et objectif, en lien avec le travail, ne devrait pas pouvoir bénéficier de la protection « accident du travail ».
A défaut de détermination des modalités du télétravail, le télétravailleur pourrait bénéficier de la protection large, accordée au salarié en mission, comme cela a été le cas d’un salarié en mission en Chine, s’étant blessé la main, après avoir glissé en dansant dans une discothèque[5].
[1] Tribunal Judiciaire de BOBIGNY, 23 mai 2022, RG N° 22/00164
[2] Article L. 1222-10 III, alinéa 4 du Code du travail
[3] Cass. Soc., 8 juillet 1995, n° 84-4.124
[4] Article L. 1222-9 II : mise en place du télétravail par accord collectif ou par Charte élaboré par l’employeur
[5] Cass. 2ème Civ, 12 octobre 2017, n° 16-22.481
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