
Une réglementation sur les accidents du travail à bout de souffle ?
La réglementation française sur les accidents du travail atteint elle son but, à savoir protéger effectivement/efficacement la santé et la sécurité des travailleurs ?
Tenter de répondre à cette question, c’est d’abord donner quelques éléments statistiques.
La France, à l’instar de l’Allemagne, la Suède et la Belgique, fait partie des pays européens ayant l’une des réglementations les plus protectrices en matière d’accidents du travail [1].
Elle est toutefois la mauvaise élève de la classe.
La France, année après année, continue à présenter, en Europe, un des ratios les plus élevés entre le nombre d’accidents du travail et le nombre d’habitants.
D’après Eurostat [2], la France avait, en 2022, un ratio pour 100 000 habitants de 3,49 décès à la suite d’un accident du travail. L’Allemagne, quant à elle, a présenté un ratio de 0,74, la Suède de 0,76 et la Belgique de 1,06. Le ratio français est donc 3 fois supérieur à celui de pays dont la réglementation est tout aussi protectrice que celle de la France.
Statistiquement, la France est plus proche du ratio de la Bulgarie (3,33) ou de celui de Malte (5,28).
Pour les accidents non mortels, le constat est identique. Toujours selon Eurostat, la France, en 2022, était le deuxième pays en Europe présentant le plus d’accidents du travail non mortels (environ 2 750 pour 100 000 habitants), là où le ratio de l’Allemagne était de 1 500 et ceux de la Belgique et la Suède respectivement de 1 400 et 700.
Depuis les années 2010, les données statistiques ne montrent aucune amélioration.
Pire, le nombre de décès dus à des accidents du travail augmente. Le rapport annuel de l’Assurance maladie sur les risques professionnels de 2012 à 2021 en témoigne. En 2012, le nombre de décès dus à un accident du travail était de 561, en 2021 de 645, en 2022 de 738 et en 2023 de 755.
Le même constat peut être fait pour les accidents non mortels.
Selon une telle approche statistique, force est de remarquer que renforcer sans cesse les règles et les sanctions en matière d’accidents du travail ne garantit pas de meilleurs résultats.
Pour l’exprimer autrement, au fur et à mesure que la réglementation en matière de prévention des risques professionnels s’intensifie/s’enrichit et que la jurisprudence prise en application se durcit le nombre d’accidents du travail augmente.
Il est dès lors légitime de s’interroger sur le point de savoir si faire peser toujours plus d’obligations sur les entreprises en ce domaine est la bonne démarche pour faire diminuer le nombre d’accidents du travail.
La réponse ne se situe-t-elle pas, sans qu’il soit naturellement question de remettre en cause le principe même d’une réglementation forte dans le domaine de la prévention des risques professionnels, dans une approche sartrienne de l’existentialisme ?
N’est-il pas temps de se demander si cette réglementation n’a pas conduit à une déresponsabilisation des travailleurs, à laquelle la jurisprudence contribue d’ailleurs depuis plusieurs années ?
N’est-il pas temps de rappeler, dans certaines circonstances, qu’il appartient aussi aux salariés de (re)prendre conscience que leurs choix les engagent et qu’il n’est pas toujours possible de les attribuer aux autres ?
Le débat est ouvert et mérite probablement qu’on s’y intéresse.
[1] Le niveau de qualité d’une réglementation nationale sur les accidents du travail est apprécié principalement selon les critères suivants : (i) lisibilité du cadre juridique, (ii) conformité aux normes internationales, (iii) prévention et obligation des employeurs, (iv) déclaration et reconnaissance de l’accident du travail, (v) dispositifs de contrôle de l’efficacité de la réglementation.
[2] EUROSTAT est l’office statistique de l’Union européenne.
Article rédigé par Maître Yann BOISADAM, Avocate Associé
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