Décret du 17 mars 2023 (n°2023-185) relatif au détachement des travailleurs : bonne ou mauvaise nouvelle ?
Le décret du 17 mars 2023 (n°2023-185) apporte quelques modifications cosmétiques aux règles de contrôle du détachement. 3 ont retenu mon attention:
1°/ Simplification de la déclaration de détachement
Bonne nouvelle ?
OUI du fait de la simplification de la déclaration de détachement avec la suppression des mentions notamment relatives aux heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et durées des repos des salariés détachés et les modalités de prise en charge par l’employeur des frais de voyage, de nourriture et le cas échéant d’hébergement.
Il est vrai qu’il était souvent compliqué pour une société détachant un salarié sur le territoire français d’inscrire sur la déclaration de détachement les heures de début et de fin du travail.
EN REALITE, si cette mention n’a plus à figurer sur la déclaration de détachement, elle fait partie des informations qui doivent être tenues à la disposition « sans délai » de l’Inspection du Travail puisque l’article R. 1263-1 du Code du Travail prévoit la tenue à disposition d’un relevé d’heures indiquant le début, la fin et la durée du temps de travail journalier de chaque salarié mais également l’établissement de bulletins de paie pour un détachement supérieur ou égal à un mois mentionnant les périodes et horaires de travail auxquels se rapporte le salaire, en distinguant les heures payées au taux normal et celles comportant une majoration ainsi que les congés et jours fériés.
S’agissant des modalités de prise en charge par l’employeur des frais de voyage, de nourriture et le cas échéant d’hébergement, il ne sera plus utile de préciser dans la déclaration de détachement si ces frais sont :
- Pris en charge directement par l’employeur
- Remboursé au travailleur
- S’ils font l’objet d’une somme forfaitaire
- Ou autres modalités de prise en charge.
Ces informations devront toutefois être tenues à la disposition de l’Inspection du Travail en cas de contrôle de la rémunération versée au salarié détaché.
Pour rappel, l’employeur détachant temporairement un salarié sur le territoire national doit lui garantir l’égalité de traitement avec les salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies sur le territoire national.
Cette règle s’applique pour la rémunération et il est d’autant plus important d’identifier les modalités de remboursement des dépenses relatives aux frais de voyage, de nourriture et le cas échéant d’hébergement qu’à défaut l’allocation propre au détachement versée en plus sera regardée comme compensant ces dépenses et non comme élément de rémunération.
La suppression des mentions relatives aux heures de début et de fin de la journée de travail et des modalités de prise en charge par l’employeur des frais de voyage, de nourriture et le cas échéant d’hébergement [1] allège donc la déclaration préalable au détachement mais n’allège pas les obligations de l’employeur détachant les salariés sur le territoire français devant veiller au respect du « noyau dur », c’est-à-dire aux règles applicables en FRANCE.
2°/ Création d’une nouvelle amende administrative ?
Mauvaise nouvelle ?
Le Décret complète l’article R. 8115-5 du Code du Travail relatif aux sanctions administratives afin d’y inclure le manquement à la déclaration préalable au détachement à l’Inspection du Travail (article L. 1262-2-1 du Code du Travail).
Cet ajout interpelle puisqu’il existe déjà nombre d’arrêts sur les sanctions administratives prononcées pour défaut de déclaration de détachement.
En réalité, une sanction administrative existait avant le 30 juillet 2020 puis avait été supprimée (par erreur ?) par Décret du 28 juillet 2020.
Il semble donc qu’il s’agisse d’une correction applicable dès le 19 mars 2023.
3°/ Suppression parmi les documents devant être tenus à disposition sans délai de l’Inspection du Travail du nombre de contrats exécutés et du montant du chiffre d’affaires réalisé par l’employeur dans son pays d’établissement et sur le territoire national
Bonne nouvelle ?
Ces documents étaient sollicités aux fins de « s’assurer de l’exercice d’une activité réelle et substantielle de l’employeur détachant dans son pays d’établissement ».
Si ces documents n’ont plus à être tenus à la disposition de l’Inspection du Travail pour lui être présentés sans délai, comme le prévoyait l’article R. 1263-1 du Code du Travail, il n’en demeure pas moins qu’ils font partie des indices afin de vérifier la licéité du détachement.
L’article L. 1262-3 du Code du Travail prévoit comme conditions de licéité du détachement que l’employeur, qui détache des salariés, ait dans l’Etat dans lequel il est établi des activités ne relevant pas uniquement de la gestion interne ou administrative, ou que son activité ne soit pas réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue.
La Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l’exécution de la Directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services prévoit[2] comme indices de l’exercice réel des activités substantielles, autres que celles relevant uniquement de la gestion interne ou administrative :
- Le lieu où sont implantés le siège statutaire et l’administration centrale de l’entreprise
- Le lieu de recrutement des travailleurs détachés et le lieu où ils sont détachés
- Le droit applicable au contrat conclu par l’entreprise avec ses salariés d’une part, et avec ses clients d’autre part
- Le lieu où l’entreprise exerce l’essentiel de son activité commerciale et où elle emploie du personnel administratif
- Le nombre de contrats exécutés et/ou le montant du chiffre d’affaires réalisé dans l’État membre d’établissement ….
On peut dès lors s’interroger l’utilité de la suppression de cette mention[3] au titre du contrôle du détachement sachant que, en toute hypothèse l’Inspection du Travail peut, au titre du travail dissimulé par dissimulation d’activité, contrôler les sociétés détachant sur le territoire national puisque l’alinéa 3 de l’article 8221-3 du Code du Travail prévoit qu’ « est réputé travail dissimulé par dissimulation d’activité, le fait de se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque l’employeur de ces derniers exerce dans l’état sur le territoire duquel il est établi les activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue ».
La suppression de la communication de documents relative au nombre de contrats exécutés et au montant du chiffre d’affaires réalisé ne doit pas être un leurre, cette condition, inhérente au détachement, est toujours de mise.
Vigilance donc.
[1] L’entrée en vigueur sera fixée par arrêté et au plus tard le 1er juillet 2023
[2] Article 4 : détermination du caractère véritable de détachement et de prévention des abus et contournements
[3] L’entrée en vigueur sera fixée par arrêté et au plus tard le 1er juillet 2023
Article rédigé par Maître Edith COLLOMB-LEFEVRE, Avocat Associée
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