L’obligation de sécurité au secours de l’entreprise
Publié le :
15/05/2025
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L’obligation de sécurité fait l’objet d’une abondante jurisprudence et de tout aussi abondants commentaires, qui rappellent pour l’essentiel les devoirs qui en découlent pour l’employeur.
Tout cela est vrai et tout cela est incomplet.
L’obligation de sécurité, aussi :
- crée des devoirs pour le salarié, dont découlent des droits pour l’employeur
- ouvre des perspectives d’actions pour l’entreprise, venant en concurrence et prenant parfois le pas sur d’autres droits ou des libertés fondamentales
***
Comme on connaissait jadis l’article 1382 du code civil, tous connaissent aujourd’hui l’article L4121-1 du code du travail qui fonde l’obligation de sécurité de l’employeur :
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »
Cet article soumet l’employeur à une obligation de sécurité dite renforcée (Cass. Soc. 25 novembre 2015, n° 14-244.44 et Cass. Soc. 5 avril 2019, n° 18-17.442).
Il connait son pendant pour le salarié, lui-même soumis à une double obligation de sécurité à son égard et à l’égard des autres salariés (article L4122-1) :
« …il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail… »
Ce texte en ce qu’il fait peser une obligation sur le salarié permet logiquement à l’employeur de sanctionner son non-respect et la jurisprudence est plutôt sévère sur ce point. La Cour de Cassation qui visait par le passé la « violation des règles de sécurité » rend aujourd’hui ses arrêts au visa de cet article L4122-1 (voir en dernier lieu le licenciement pour « dépit amoureux » Cass. Soc. 26 mars 2025, Pourvoi nº 23-17.544).
Si la sévérité vise surtout l’employeur, elle ne lui est donc pas réservée et il est en droit, voire en devoir, de sanctionner les violations par les salariés de leur obligation de sécurité.
Cette solution est désormais classique.
Le sont moins d’autres illustrations récentes des conséquences de « l’obligation de sécurité ».
La première tient à la capacité de l’employeur d’imposer une obligation de résidence à son salarié. De longue date, il est admis que l'employeur ne peut apporter de restrictions à la liberté de choix de la résidence que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché comme l'énonce l'article L. 1121-1 du Code du travail. Il s'agit d'un compromis entre le respect des libertés individuelles du salarié et la protection des intérêts légitimes de l'employeur. Et la jurisprudence de faire habituellement primer la liberté du salarié (voir notamment Cass. soc., 23 sept. 2009, no 08-40.434).
Sur le fondement de l’obligation de sécurité de l’employeur, un arrêt récent de la Cour d’Appel de Paris apporte un éclairage intéressant (CA Paris 5 mars 2025 - Pôle 6 - Chambre 3 - N° RG 21/01849) :
« Par ailleurs le risque routier invoqué par la société est réel et permet de justifier l'obligation de résidence du salarié étant rappelé que celui-ci couvre un secteur géographique important, les départements 69 et 71 ce que le salarié lui-même reconnait. L'obligation de résidence est proportionnée au risque routier susvisé. »
La Cour met en balance la liberté de résidence du salarié et l’obligation de l’employeur de prévenir le risque routier et fait prévaloir la seconde.
Cette solution ouvre des perspectives pour imposer, dans certaines situations ciblées, des contraintes aux salariés. Elle s’inscrit dans la ligne d’un courant jurisprudentiel qui se confirme comme l’illustre encore un arrêt de début 2025 de la Cour de Cassation qui justifie le refus de réintégration d’un salarié protégé en retenant que « l'impossibilité de réintégrer le salarié …résultait … d'un risque de harcèlement sexuel que l'employeur était tenu de prévenir » (Cass. soc. 8-1-2025 n° 23-12.574).
Un dernier exemple dans un dossier également récent.
Confrontée à des pratiques déviantes en termes de sécurité en période de grève (refus des Ordres de Maintien en Fonction, consistant à imposer aux salarié grévistes d’exécuter les tâches nécessaires au maintien en sécurité de l’usine), une entreprise classée SEVESO décide d’inscrire cette pratique dans son règlement intérieur, pour la formaliser et pouvoir la sanctionner.
Cette inscription heurte frontalement la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. Soc., 15 décembre 2009, 08-43.603) :
« Vu l'article 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ensemble l'article L. 1132-2 du code du travail ;
Attendu que, sauf dispositions législatives contraires, l'employeur ne peut en aucun cas s'arroger le pouvoir de réquisitionner des salariés grévistes… »
Sur le fondement de cet arrêt, l’inspecteur du travail, en charge légalement du contrôle du règlement intérieur, demandera le retrait de la clause en cause. Mais, sur recours de l’entreprise, la DDEETS la validera.
L’obligation de sécurité de l’employeur peut prendre donc le pas sur la liberté individuelle de résidence ou le droit constitutionnel de faire grève.
Même si elle apparaît nouvelle, cette solution est naturelle : il ne peut être exigé de l’employeur le respect d’une obligation de sécurité renforcée sans qu’il soit « outillé » pour y parvenir.
Elle vient tout de même rebattre des principes établis et sans doute n’avons-nous pas encore perçu tous ses développements à venir, dont certains seront des « outils » dont l’entreprise doit se saisir.
Historique
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